La Silicon Valley ou Bisouville ?

Après avoir critiqué très intelligemment le « solutionnisme technologique » dans « Pour tout résoudre, cliquez ici » traduit en français chez FYP Editions, Evgeny Morozov a comparé la Silicon Valley et Wall Street, pointant que la posture de ce territoire, qui concentre les plus grosses capitalisations boursières mondiales, comportait une idéologie sous-jacente.

"Vos chefs d'Etat européens semblent fascinés par la Silicon Valley. C'est naïf et dangereux ! Mais ils ne comprennent pas que les solutions poussées par la Silicon Valley ne sont pas neutres : elles véhiculent une idéologie politique."

« Vos chefs d’Etat européens semblent fascinés par la Silicon Valley. C’est naïf et dangereux ! Mais ils ne comprennent pas que les solutions poussées par la Silicon Valley ne sont pas neutres : elles véhiculent une idéologie politique. »

Effectivement, au-delà du cyber-optimisme béat, il y a bien un « modèle » et des « valeurs » chez les entrepreneurs, les entreprises et les services qui naissent, prospèrent et se diffuse mondialement à partir de la Silicon Valley. Et c’est peu dire que ces parti-pris forts sont chargés politiquement, socialement et moralement, et ne « parlent pas » seulement d’économie ou de business, et qu’ils se sont considérablement éloignées du mélange si particulier qui avait présidé à l’émerge d’Internet et de la micro-informatique tel que Fred Turner l’a si magnifiquement décrit dans son « De la contreculture à la cyberculture. Aux sources de l’utopie numérique » (en profiter pour le lire si c’est pas fait et pour ré-écouter ce Place de la Toile).

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Au début, Internet et les ordinateurs, c’est le dommage collatéral issu de la synergie et du melting pot entre de l’argent du Gouvernement et des militaires (DARPA), de chercheurs et d’universitaires libertaires ou « communistes » (de l’information), d’entreprises technologiques, de hippies cherchant à prolonger par la technologie les expériences de vie communautaire, de défenseurs de la liberté d’expression ou de militants anti-guerre du Vietnam, d’entrepreneurs désireux de changer le monde mais également de devenir riches, de hackers flirtant avec la légalité (développeurs géniaux, bidouilleurs de matériels, pirates de téléphones), de doux rêveurs passionnés par les nouvelles possibilités offertes par la technologie, de consommateurs de drogues hallucinogènes, etc, etc.

Les principes de l'éthique hacker qui a baigné la naissance d'Internet et de l'informatique

Les principes de l’éthique hacker qui a baigné la naissance d’Internet et de l’informatique

Quelle différence avec maintenant ? Et bien d’abord l’éthique, le modèle, les valeurs justement qui sont désormais régies par les règles de l’économique, du financier, de la propriété intellectuelle, de la capture de valeur (données personnelles notamment). Des libertaires, on est maintenant passé aux libertariens. Et ensuite le dés-horizontalisation du schéma d’origine avec la montée en puissance de la domination asymétrique de quelques entreprises sur l’ensemble de la toile mondiale et sur ses utilisateurs. Le tout à partir d’un territoire qui a clairement et sérieusement réfléchi – et qui continue à le faire dans les faits au quotidien – à faire sécession des Etats-Unis et de son Gouvernement fédéral, et qui créée des emplois uniquement ultra-qualifiés et paupérise tout le reste en gentrifiant et en expropriant.

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Le niveau de vie dans Silicon Valley et la région de la baie de San Francisco en général reste cependant parmi les plus élevés de la planète, et seuls 26 % des foyers ont un pouvoir d’achat suffisant pour devenir propriétaires. Fin 2013, il semble que la population de la Silicon Valley se répartisse principalement en deux catégories : « quelques oligarques richissimes et une classe de travailleurs mal payés pour les servir, pas de classe moyenne, ou alors minuscule ». Lire l’article du Monde : http://internetactu.blog.lemonde.fr/2013/12/06/avons-nous-vraiment-envie-de-devenir-la-silicon-valley/

Donc oui disons le tout net, nous préférons Bisouville et sa vallée des nuages car elle est plein d’amour et ouverte à tous. Nous regardons donc attentivement les « autres Silicon Valley » qui sont plus responsables, et il y en a en Europe, en Afrique, en Asie… et nous posons la question clairement : pourquoi toute la richesse créée par « la Valley » ne bénéficie pas aussi aux plus démunis, à la population locale et pourquoi ce modèle laisse t’il autant de gens sur le bord de la route ? Pourquoi tant de technologie pour si peu d’emplois non qualifiés, pour si peu d’inclusion et de mixité ? Comment peut-on capturer autant de valeur et en créer autant financièrement mais rester aussi indifférent et indigent sur le volet social ?

 

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